Comment la blockchain peut sauver notre alimentation

Il sera difficile d’échapper à Blockchain en 2019, même si nous le voulions. Chaque secteur d’activité semble considérer cette technologie comme potentiellement révolutionnaire. Aussi nous nous avons étudié comment la blockchain pourrait changer de manière significative l’industrie alimentaire.

La montée de la fraude alimentaire

Concernant nos approvisionnements alimentaires, ce sont les informations ignorées qui peuvent être dangereuses. L’Organisation mondiale de la santé estime que près d’une personne sur dix tombe malade chaque année en mangeant des aliments contaminés (ce qui ferait 420 000 décès par an) 1. Notre approvisionnement alimentaire mondial est devenu si complexe qu’il est presque impossible pour les producteurs et les détaillants de garantir la provenance de leurs produits, et le consommateur n’a absolument pas les moyens d’analyser finement ce qu’il y a dans son assiette.

Comme dans tout secteur, là où il existe des opportunités, il y a inévitablement quelqu’un pour en profiter. Les individus qui falsifient notre nourriture n’ont rien de nouveau : dès le 17ième  siècle, les gouvernements ont commencé à introduire des lois sur la pureté des aliments, pour lutter contre les abus comme le mouillage du lait ou l’utilisation de craie dans le pain 2. Ces pratiques et d’autres ont rapidement suscité des inquiétudes concernant la sécurité alimentaire.

Bien que la technologie se soit améliorée, des méthodes similaires sont utilisées aujourd’hui dans notre alimentation (incorporation d’huiles de vidange dans des huiles alimentaires [1981 en Espagne, 20.688 victimes, entre 370 à 835 décès], incorporation de mélanine dans les laits pour augmenter le taux protéique [2011 en Chine, 290.000 victimes, dont 51.900 hospitalisées et probablement 11 décès], sel de voirie vendu comme du sel alimentaire [2012 en Pologne], utilisation d’alcool contenant du méthanol dans les spiritueux [2012 en République tchèque], utilisation de graisses contaminées à la dioxine pour la production d’aliments pour animaux [2011 en Allemagne], mention erronée de l’espèce de poisson utilisée et étiquetage erroné des produits de la mer [tout le temps, et un peu partout], ou encore utilisation de cellulose du bois en lieu et place du parmesan  [2012 aux Etats Unis]). Ces pratiques donnent à l’expression «vous êtes ce que vous mangez» une connotation troublante, car il serait bien étonnant que le substitut soit meilleur pour la santé que l’original ! Nous sommes tous au courant des derniers incidents de fraude alimentaire très médiatisés, du scandale 2013 de la viande de cheval au Royaume-Uni 3, à la contamination par Salmonelle de lait en poudre pour bébés en 2017 4, et maintenant la récente affaire concernant deux des plus grandes entreprises de production de viande au Brésil 5.

Même si l’importance des récents scandales naturellement l’attention nationale sur la sécurité de notre approvisionnement alimentaire, il ne faut pas oublier que ce ne sont pas des proportions aberrantes. Selon les études, 10% de la nourriture écoulée dans le commerce serait contrefaite ou frelatée. Car le chiffre d’affaires réalisé sur l’alimentation est énorme : songeons par exemple qu’il se vend, en France, 1,7 millions de tonnes d’huiles alimentaires chaque année… La tentation est évidemment forte d’en écouler quelques milliers de tonnes frelatées, si on peut gagner ainsi mille ou deux mille euros à la tonne de plus dessus, le tout à travers des circuits « normaux » de commerce et non pas à la sauvette comme la drogue, ce qui évite en plus d’avoir le problème de blanchir l’argent sale ! Cette constatation de bon sens n’a évidemment pas échappé au crime organisé. De fait, les saisies de produits frelatés se montent à des dizaines de milliers de tonnes de produits secs chaque année et des centaines de milliers de litres de boissons, sans que l’on sache quel pourcentage du total cela représente. Parmi les produits les plus touchés : l’huile d’olive ou encore le lait. 6

scandale fraude alimentaire

Pour les organisations qui se retrouvent prises dans un scandale alimentaire, les conséquences peuvent être désastreuses. Le coût d’une condamnation peut aller jusqu’à 15% des revenus annuels de l’entreprise, sans parler des dommages pour l’image et la réputation de l’entreprise ou de la marque qui se produisent inévitablement.

Tout comme les révélations qui ont suivi la crise financière de 2008 ont entamé la confiance du public dans le secteur bancaire et amené les gens se tourner vers la technologie pour combler les lacunes, l’industrie alimentaire est elle aussi soumise à la même surveillance.

Il devient de plus en plus évident que les systèmes actuels de gestion de la qualité et de la salubrité des aliments ne sont tout simplement pas conçus pour détecter la fraude dans nos aliments, ni suffisamment sophistiqués pour l’empêcher.

Rétablir la confiance dans notre alimentation

Tout doit commencer par une meilleure compréhension de la notion de «confiance». Selon Rachel Botsman, nous sommes en train de passer d’un système de confiance institutionnel à un système de confiance partagée, une progression naturelle à ses yeux car «la confiance institutionnelle n’est pas conçue pour l’ère numérique» 7. Un exemple de système de confiance partagée est par exemple la technologie qui sous-tend la dernière révolution de la Fintech, et qui a un énorme potentiel pour l’industrie alimentaire, la blockchain.

La blockchain a été développée sous la forme d’un registre décentralisé qui enregistre les transactions et stocke ces informations sur un réseau global, d’une manière qui empêche leur modification ultérieure. Bien qu’initialement adopté pour son intérêt dans la finance, le système décentralisé des blockchains a un potentiel énorme pour la traçabilité des chaînes d’approvisionnement.

La blockchain fournit une plate-forme ouverte neutre, il n’y a pas de tiers nécessaire pour autoriser les transactions, mais plutôt un ensemble de règles que tous les participants, les utilisateurs et les opérateurs du système, doivent respecter.

Un tel système est inestimable dans des chaînes d’approvisionnement complexes où la confiance est faible et la conformité difficile à évaluer. Il n’est donc pas étonnant que The Economist ait surnommé la blockchain « La machine à confiance » 8.

Les avantages de la blockchain pour l’industrie alimentaire

Cela apporte d’énormes avantages à tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Pour les producteurs d’aliments, la blockchain signifie que toute tentative d’altération d’un aliment à mesure qu’il traverse la chaîne d’approvisionnement peut être immédiatement identifiée et évitée avant que l’aliment n’atteigne le détaillant.

Pour les détaillants, si un produit alimentaire potentiellement dangereux arrive d’une manière ou d’une autre sur les tablettes, les magasins peuvent identifier et retirer uniquement les articles incriminés, éliminant ainsi le besoin de rappels de lots coûteux.

Pour les consommateurs, la blockchain offre la transparence et l’ouverture nécessaires pour leur assurer que la nourriture qu’ils mangent correspond exactement à ce que l’étiquette dit. La capacité des consommateurs à identifier les aliments de haute qualité est actuellement empêchée par l’asymétrie de l’information.

La recherche universitaire 10 a montré que cette asymétrie peut des conséquences importantes sur le marché, avec le risque que les consommateurs choisissent des aliments de qualité inférieure (ou dangereuse) en l’absence d’informations de qualité sur la qualité des aliments.

Traçage de la nourriture avec la blockchainQR code sur aliments

La blockchain a le potentiel de récupérer l’information complète de la chaîne alimentaire et de la mettre directement entre les mains du client. Grâce à l’utilisation d’un simple code QR et d’un téléphone intelligent, les clients peuvent numériser un emballage au point de vente et recevoir un historique complet de son parcours, de la ferme à la fourchette.

Ceci est particulièrement utile dans les zones grises de la traçabilité alimentaire, telle que l’étiquetage du pays d’origine. C’est un élément de l’information alimentaire pour lequel il est très difficile de différencier le vrai du faux : par exemple un produit peut prétendre être du porc britannique, quand en réalité il est d’origine française mais ensuite transformé au Royaume-Uni.

La blockchain est un outil utile car elle enregistre chaque interaction, et lui assigne un certificat numérique, ce qui signifie qu’il ne peut pas être changé ou altéré plus tard par une entreprise cherchant à cacher la vraie origine et le mouvement du produit à travers la chaîne.

Ceci représente une énorme opportunité pour les entreprises qui voient l’avantage de l’utilisation précoce des systèmes de traçabilité basés sur la blockchain. En effet, d’ici 2022, Gartner estime qu’une entreprise innovante construite sur une blockchain vaudra 10 milliards de dollars 11.

La confiance des consommateurs dans les aliments est actuellement faible 12, et la demande de traçabilité complète ne fait que croître 13. Les entreprises ne peuvent plus compter sur des termes généralistes tels que «sain» ou «biologique» afin de signaler la valeur, la nouvelle génération de consommateurs est assez avertie pour rechercher des garanties de qualité dépassant ce qui est imprimé sur l’étiquette 14. La blockchain fournit une méthode de preuve de ces allégations, renforçant la fidélité des clients pour les entreprises qui peuvent toujours garantir la qualité.

Dans un marché de plus en plus volatil, la blockchain ajoute un niveau de sécurité supplémentaire pour l’industrie alimentaire. Les entreprises qui savent  déjà utiliser la blockchain pour générer de la transparence dans leurs chaînes d’approvisionnement ont en quelque sorte une police d’assurance si un autre scandale devait frapper le secteur.

Il est donc clair que le vent tourne vers la traçabilité. Les producteurs d’aliments qui refusent d’entendre les appels à plus d’autonomie des consommateurs le font à leurs risques et périls : la croissance de la blockchain montre que ceux qui répondront à cette demande gagneront des parts de marché.

Références

  1. http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2015/foodborne-disease-estimates/fr/
  2. http://www.newfoodmagazine.com/wp-content/uploads/NSF-Whitepaper.pdf
  3. https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/agroalimentaire-biens-de-consommation-luxe/debut-du-proces-du-scandale-de-l-enorme-viande-de-cheval-a-paris-a-partir-de-lundi-804446.html
  4. https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/mayenne/lactalis-le-scandale-du-lait-contamine-en-cinq-actes-5569879
  5. https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/03/21/viande-avariee-le-bresil-face-a-des-represailles_5098221_3234.html
  6. https://www.atlantico.fr/decryptage/2217548/fraude-alimentaire-comment-la-mafia-reussit-a-prendre-le-controle-d-une-partie-de-votre-caddie-bruno-parmentier
  7. https://www.pwc.com/gx/en/food-supply-integrity-services/publications/food-fraud.pdf
  8. https://hbr.org/2015/10/the-changing-rules-of-trust-in-the-digital-age
  9. http://www.economist.com/news/leaders/21677198-technology-behind-bitcoin-could-transform-how-economy-works-trust-machine
  10. https://www.researchgate.net/publication/23512107_Consumer_demand_for_traceability
  11. http://linkis.com/www.econotimes.com/Zk8mh
  12. https://www.pwc.com/us/en/issues/food-trust/assets/food-supply-and-integrity-services.pdf
  13. https://www.labelinsight.com/transparency-roi-study
  14. http://www.theglobeandmail.com/news/national/how-the-food-industry-is-using-canadians-changing-eating-habits-to-market-to-different-generations/article32316327/