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A l’occasion de l’Université d’été de la e-Santé animale 2017, Jean-Louis HUNAULT a présenté sa vision des enjeux de cette nouvelle branche.

Selon le président du Syndicat de l’Industrie du Médicament et Réactif Vétérinaires, les technologies du numérique viennent augmenter les capacités de connaitre, de suivre, d’interpréter et de donc de gérer les données issues des animaux. Nous passons maintenant à un modèle de traitement des données en continu basé sur un triptyque :

  • information (disponible à tous potentiellement),
  • produits (diagnostic, médicament, dispositif),
  • services (vétérinaire).

Il doit en résulter une amélioration de la qualité des soins, une médecine vétérinaire plus prédictive, un meilleur suivi des traitements, des effets indésirables et donc une évaluation en continu des médicaments (pharmacovigilance).

Les outils digitaux provoquent une rupture dans notre relation à l’animal

Notre modèle de relation homme/animal peut se diviser en trois modèles :

  • l’animal d’élevage, avec toutes les notions d’élevage de précision que permet ces nouvelles technologies,
  • le cheval, avec la performance sportive,
  • l’animal de compagnie avec la dimension santé et bien-être.

Malgré cette différents relations, nous retrouvons à chaque fois quatre étapes dans l’utilisation des technologies digitales :

  • les capteurs sur l’animal,
  • les systèmes de traitement de l’information,
  • la restitution ou l’interprétation,
  • l’adaptation des pratiques.

Ce qui est intéressant, c’est que nous passons d’un animal muet et silencieux,  à un animal augmenté et communicant, ou en tout cas informant. C’est quelque chose qui est fondamentalement en rupture avec toute notre histoire de la relation avec l’animal. La spécificité du vétérinaire a longtemps été et reste d’être celui qui fait parler l’animal sur sa santé, qui peut de le comprendre, c’était lui qui indiquait son état de santé. Maintenant ce pourront être les objets connectés.

Les objets connectés ne sont pas que des gadgets

On a l’habitude de parler de gadgets. Mais par exemple, on sait que 20 à 40 % des chiens ou les chats sont obèses, c’est un vrai problème de santé. Or si la gamelle connectée est capable par les capteurs d’activité de délivrer la quantité d’aliments voulue, selon l’activité, c’est quelque chose qui va améliorer le bien-être et la santé de l’animal.

L’éleveur devient un éleveur augmenté, la médecine de troupeau se réindividualise

L’éleveur est l’infirmier de son élevage, il travaille avec le vétérinaire et il y aura une relative inversion des flux d’informations qui va responsabiliser l’éleveur. On parle d’élevage de précision, c’est un élément clé. Nous allons grâce à ces technologies passer à une médecine qu’en humaine on appelle de la médecine individualisée. On va pouvoir prendre en charge les animaux de plus en plus individuellement.

La médecine préventive se développe, le diagnostic se démocratise

Bien évidemment va se développer une médecine de prévention, de diagnostic et c’est un élément clé. Je vous parlerai de démocratisation en quelque sorte, d’usage du diagnostic, qu’il convient bien évidemment d’accompagner, et l’on voit que c’est toute la relation entre le vétérinaire et l’éleveur, ou le vétérinaire et le propriétaire de l’animal, qui va évoluer.

Les difficultés économiques de l’élevage vont-elles permettre ce développement ?

La première chose qui vient à l’esprit, c’est que le modèle économique de notre secteur est très différent de celui de la santé humaine, puisqu’il y a une prise en charge du coût directement par le propriétaire de l’animal (sauf cas de prophylaxie collective prise en charge par l’état). L’élément clé de ce modèle, et surtout pour l’élevage, c’est le niveau de vie des éleveurs français, qui pose un problème majeur : un tiers des éleveurs gagne moins de 354 euros par mois. Et donc comment accueillir ces technologies avec cette difficulté ? Comment ces technologies vont convaincre l’éleveur qu’elles vont améliorer son niveau de vie par l’amélioration de ses performances  ? C’est un véritable enjeu pour l’avenir de nos technologies, et plus largement pour l’avenir de nos éleveurs.

Quel modèle juridique pour ces nouvelles technologies ?

On voit bien que si on applique certaines réglementations directement à ces nouvelles technologies de la santé vétérinaire ou de l’e-santé vétérinaire, on risque de tuer l’innovation rapidement.

Quelle impact pour la profession vétérinaire ?

Cette inversion des flux est quelque chose qui est à prendre en compte : est-ce que le vétérinaire sera demain celui qui va conseiller les propriétaires, les éleveurs sur ces nouvelles technologies ? Il y a là quelque chose qui revisite en quelque sorte l’exercice vétérinaire.

Et puis je lisais en préparant cette intervention l’exemple des téléconsultations médicales, et notamment le rôle des sociétés d’assurances : je voyais qu’un groupe comme Axa, qui assure 3,4 millions de personnes, réalise 10.000 consultations par an pour 3 millions de personnes. C’est une nouvelle forme de médecine, et est-ce que l’on ne pourrait pas imaginer que cette nouvelle forme de médecine demain pour les sociétés d’assurance pourrait changer notre modèle ?

La traçabilité et la pharmacovigilance améliorées, pour des consommateurs rassurés

Un autre élément c’est certainement aussi celui de la sécurisation des pratiques par l’amélioration de la bonne observance des traitements. C’est tout l’enjeu de l’enregistrement des traitements et de la progression de la bonne observance des prescriptions. C’est tout l’enjeu également de la pharmacovigilance : on voit que les réseaux sociaux de manière assez spontanée décrivent les résultats qu’ils voient des traitements sur les animaux dont ils ont la garde.

Sur l’antibiorésistance, qui est un enjeu de santé absolument majeur pour les années à venir, on voit bien que des tests de différenciation entre bactéries et virus, des tests de sensibilité à la résistance aux antibiotiques, tous ces tests vont peu ou prou demain guider les intervenants, au premier rang desquels bien sûr le vétérinaire, sur la prescription des produits. Ces technologies vont aussi aider l’administration dans la gouvernance sanitaire par l’observation des pratiques.

Un mot qui me tient à cœur, c’est que ces technologies peuvent potentiellement nous permettre de passer d’une société de la défiance, à une société dans laquelle nous avons une capacité de vérifier la réalité des productions des élevages et des produits que nous achetons. Aujourd’hui nous sommes, en tant que fabricant de produits, les victimes des politiques de « sans » : de sans OGM, de sans antibiotiques… Ça veut dire quoi un poulet sans antibiotiques ? Ça voudrait dire que les autres sont avec antibiotiques ? Il y a là l’installation d’un climat de peur, d’incertitude et de méfiance, qui est absolument inacceptable. Et on peut imaginer que demain, l’amélioration de l’enregistrement des traitements, du suivi, de la remontée vers les élevages qui ont produit ces denrées alimentaires, ces protéines d’origine animale, permettront de vérifier que les éleveurs français sont des gens honnêtes. Et que même si il y à des associations pour relever qu’il y a des exceptions, et bien la plupart des éleveurs, la plupart des vétérinaires, travaillent de manière sérieuse. Et cet enregistrement des traitements, cette capacité de remonter à la source est, je pense, le seul moyen de revenir dans une société de la confiance et de la responsabilité. J’appellerais même ça de l’excellence opérationnelle, car il faut donner la chance à ces professionnels de démontrer leur capacité de répondre aux attentes de la société.

L’identification de nouvelles indications

Le traitement de ces données va permettre d’améliorer la disponibilité des médicaments, puisque l’on doit pouvoir retrouver par ce biais de nouvelles utilisations qui n’étaient pas prévues dans nos autorisations de mise sur le marché ou nos résumés des caractéristiques des produits. Et donc développer d’une certaine façon la couverture des besoins.

Une évolution du fonctionnement des laboratoires pharmaceutiques

Nous pouvons également avoir un impact de cette technologie sur l’organisation même de nos entreprises, bien évidemment, qui vont se retrouver devoir interfacer beaucoup plus leur organisation avec la société.

Enfin c’est un secteur pilote puisque par définition nous pouvons tester dans la santé animale des technologies qui seront demain utilisées chez l’homme. Nous avons bien sûr moins de contraintes éthiques, probablement, notamment au niveau de l’identification et du couplage identification dossier médical.

Enfin ces technologies vont jouer sur la compétitivité de nos entreprises. Nous pouvons imaginer que ces objets connectés vont nous aider dans les essais cliniques, dans les modèles de pharmacovigilance.

J’ai évoqué notre défi à adapter nos ressources humaines à cette technologie, car il nous faut trouver des compétences liées à ces nouvelles technologies. Et puis bien évidemment, l’enjeu est de capter les technologies que vous avez vues pendant trois jours en humaine vers le secteur vétérinaire, c’est quelque chose qui est absolument clé. Je sais qu’il y à des cabinets de consultants qui se développent dans cette perspective, et je pense que nous avons, par exemple avec les dispositifs portables, des technologies qui pourraient demain servir.

Cibler les pratiques plutôt que les produits

Il y a finalement, grâce à ces technologies, la capacité de passer d’un système dans lequel le seul élément de régulation était de s’en prendre au produit (on a vu ça avec les antibiotiques d’importance critique,  où finalement c’est par la suppression de facto de ces produits qu’on a résolu une partie du problème), à l’identification des pratiques. Et c’est l’Homme qui se retrouve l’objet de ces politiques. Comment améliorer les pratiques, et surtout comment détecter les mauvaises pratiques ? Car aujourd’hui on est capable par conférence de consensus, de définir des pratiques, que j’appellerais élitistes, les meilleures pratiques,  et demain ces objets connectés, ces remontées d’informations, vont permettre de remonter le niveau général en excellence opérationnelle, faire la chasse aux mauvaises pratiques, pour arriver une société de la confiance.

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